Enquête Assises 2019

Résultats de l’enquête nationale sur la protection de l’enfance sur les «besoins de repères» réalisée par l’ODAS et le JAS à l’occasion des 12èmes Assises Nationales de la Protection de l’Enfance


Alors que nous vivons dans une société dont la complexité va croissant chacun a, plus que jamais, besoin de repères, identitaires, affectifs, juridiques, éducatifs…. Dans ce contexte la 12ème édition des Assises de la Protection de l’Enfance est l’occasion de s’interroger ensemble sur ce qui fait repère, ce qui manque, ce qui devrait être consolidé.

En posant la question des repères aux professionnels et personnes engagés dans la protection de l’enfance nous manquions nous-mêmes de références quant aux attentes sur cette thématique singulière.

En effet si chacun au gré de ses rencontres et échanges perçoit le besoin et la demande souvent formulée d’un cadre sécurisant cette question des repères est rarement posée aussi précisément que nous avons tenté de le faire.

Évidemment, selon la qualification, la profession, le cadre d’exercice les réponses diffèrent. Cependant lorsque nous analysons les réponses reçues nous percevons le besoin d’un cadre partagé. Les travailleurs sociaux constituant le panel le plus important de répondants les réponses générales reflètent le plus souvent leur avis, cependant nous verrons que ce propos peut être nuancé sur certaines questions.

Ce sont 70% des répondants qui estiment avoir ce besoin de repères supplémentaires dans leur exercice professionnel. C’est un chiffre en soit très parlant et la suite de l’enquête n’a pas fini d’être éloquente sur cet important besoin de repères. Les psychologues, chercheurs et bénévoles ne sont pas aussi nombreux à le penser et un plus grand nombre d’entre eux expriment un avis tranché en affirmant n’avoir aucun besoin sur ce sujet.

À cette question 57% des répondants apportent une réponse positive et ce sont les psychologues et bénévoles qui semblent les plus assurés dans ce domaine alors qu’enseignants et animateurs, chercheurs et assistants familiaux expriment majoritairement leurs besoins en la matière. Ces écarts sont révélateurs de différences d’approche mais également sans doute de contenus de formations initiales très différentes sur ce sujet.

64% des répondants ont le sentiment de manquer de repères de la part des institutions qui les emploient. Assez logiquement les bénévoles et les quelques élus qui ont répondu au questionnaire ne sont pas aussi nombreux à partager cette idée et ce sont respectivement 40% et 50% d’entre eux qui expriment ce besoin alors que c’est le cas pour 74% des assistants familiaux. Pour ces professionnels le relatif isolement lié à leur pratique singulière est sans doute à l’origine de ce besoin.

Cette fois 61% des répondants expriment ce besoin et on peut noter que les psychologues pour la moitié d’entre eux et les enseignants et animateurs pour 42% estiment pour leur part ne pas avoir ce besoin.

Si nous avions posé la question différemment aurions-nous obtenu les mêmes réponses ? Quelle est la place laissée à l’expression des familles et des enfants et à leurs attentes vis-à-vis des professionnels qui les accompagnent ?

Cette fois 73% des répondants souhaiteraient être mieux armés pour connaître les effets de leurs actions et les différentes catégories se rejoignent sur ce point. Ce résultat permet de confirmer un des points aveugles de la protection de l’enfance : savons-nous vraiment quels sont les effets des interventions en direction des enfants et des familles ?

Pour 67% des répondants la réponse est positive, ce qui peut paraître étonnant compte tenu du nombre de textes produits dans le domaine de la protection de l’enfance ces dernières années.

En revanche bénévoles et chercheurs se démarquent et indiquent majoritairement que ce n’est pas un besoin pour eux.

Cette fois ce sont 74% des répondants qui souhaitent que soient renforcés ces repères pratiques, proportion conforme à ce qui remonte régulièrement du terrain pour demander plus de référentiels. Les psychologues se démarquent à nouveau en n’étant que 50% à formuler la même demande. Un marqueur de l’indépendance de leur exercice ?

Sur ce sujet l’unanimité est quasi parfaite et ce sont 81% des répondants qui répondent positivement sans écart notable entre les différentes professions. Sans doute un excellent motif pour favoriser les liens entre les équipes de recherche et le terrain ainsi que les travaux portant sur la protection de l’enfance

Sur cette question les avis sont partagés de façon assez équilibrée puisque 54% répondent positivement et tous les autres négativement. Difficile d’interpréter ce résultat qui ne reflète pas en tout cas de difficultés particulières sur ce sujet.

Cette fois ce sont 62% des répondants qui demandent plus de clarté sur les circuits de décision interne. Les personnels administratifs semblent être les moins en difficulté sur ce sujet et les travailleurs sociaux sont quasiment aussi nombreux à être de cet avis. Circuits de décision pas assez connus, trop complexes, une diffusion et un partage des informations défaillants, ces raisons pourraient expliquer que pour les autres répondants ce sujet soit plus problématique, en particulier pour les assistants familiaux qui sont 87% à demander des éclaircissements.

Sans surprise si 53% répondent positivement ce sont les professions les plus éloignées de ce qu’on peut qualifier de centres de décision qui témoignent de difficultés à connaître leur propre marge de manœuvre : en effet 76% des assistants familiaux, mais également personnel enseignant et d’animation, médecins sont soucieux de savoir ce qu’ils peuvent se permettre de faire ou pas.

Là encore ce sont ces mêmes professionnels qui témoignent de difficultés alors que pour les professions judiciaires, les psychologues et personnels administratifs cela parait plus simple. Globalement les réponses s’équilibrent entre positif et négatif.

Pour 72% des répondants des précisions doivent leur être apportées sur les possibilités pour eux de prendre des risques dans le cadre de leur exercice professionnel et la répartition par corps professionnel se répète à nouveau, conforme aux 4 sujets précédents.

Des évolutions managériales, organisationnelles et sociales qui insécurisent la protection de l’enfance

De façon flagrante les réorganisations internes et les modes de management semblent avoir un effet délétère sur les repères des professionnels. Un témoignage permettant d’attirer l’attention sur l’importance de la stabilité pour assurer plus de sécurité ?

Visiblement les répondants ne sont pas spécialement angoissés par l’inflation législative, ce qui est cohérent avec les réponses sur le besoin de repères législatifs et règlementaires puisque 66% des répondants indiquaient être favorable à un renforcement de ces repères.

Peu nombreux sont les répondants à ne pas souligner cette complexification qui est régulièrement mise en avant par les professionnels. Les constellations familiales sont en effet de moins en moins linéaires et les difficultés rencontrées multiples.

La problématique budgétaire est devenue une préoccupation centrale pour l’ensemble des professionnels de la protection de l’enfance. Ce n’est pas une surprise mais au regard du niveau de dépenses réelles qui laisse difficilement entrevoir d’amélioration, on mesure à la fois tout l’enjeu d’amélioration et le casse-tête de la refondation du dispositif pour travailler vraiment autrement.

Des inquiétudes envahissantes et un engagement toujours vivant

C’est un large consensus qui apparait sur cette question avec 83% de réponses positives et seuls les psychologues se distinguent puisqu’ils ne sont que 53% à le penser. Ces réponses éclairent la difficulté pour les professionnels et aussi les familles de faire référence à des valeurs réellement  partagées. Faudrait-il imaginer une démarche de consensus sur cette question ?

Voilà un résultat qui permet de se réjouir ! Seuls 11% des répondants ont perdu le sens qui a motivé leur engagement en protection de l’enfance et pour les autres, même si certains ont vu leur assurance se fissurer un peu ce sont 88% des personnes qui gardent leurs repères de départ chevillés à leur exercice professionnel !

En une année comment ont évolué les visions des acteurs de la protection de l’enfance sur les objectifs de cette protection de l’enfance et sur l’avenir de la jeunesse ? Alors que les résultats 2018 donnaient un peu d’espoir sur l’avenir de la jeunesse il semblerait que la vague de fond soit profondément pessimiste puisqu’on revient à un résultat supérieur à celui de 2017 pour l’inquiétude soit 76%. Il est vrai que tant le contexte politique mondial que l’urgence climatique n’incitent à l’optimisme.

Quant aux objectifs de la protection de l’enfance cette fois nous assistons à un véritable recul de la confiance, 81% des répondants se déclarent inquiets pour 17% se sentant confiants. Il est vrai que les départements, financeurs quasi exclusifs des interventions en protection de l’enfance, connaissent des difficultés financières impactant plus particulièrement l’ensemble des actions de prévention.

Alors que la demande des professionnels de création d’un ministère de l’enfance a été entendue avec la nomination d’un secrétaire d’État, Adrien Taquet, il semble qu’en dépit des divers groupes de travail lancés et des concertations en cours le compte n’y soit pas encore pour une majorité de personnes intervenant en protection de l’enfance.

Méthodologie

Cette enquête Nationale Protection de la Protection de l’Enfance a été réalisée sous la responsabilité du Journal des Acteurs Sociaux par l’Observatoire de l’Action Sociale, au printemps 2019.

Le questionnaire a été envoyé par mail à plus de 10 000 acteurs concernés par la protection de l’enfance. Tous les départements ainsi que les DROM-COM sont représentés parmi les répondants. Le nombre moyen de réponses par département est de 13 avec un minimum de réponse par territoire de 1 et un maximum de 108.

Ce sont plus de 1360 réponses qui ont été enregistrées, analysées. L’échantillon est majoritairement composé de travailleurs sociaux, personnels administratifs et assistants familiaux. Que chacun des répondants soit remercié de sa participation à cette enquête.

Types d’acteurs ayant répondu au questionnaire

Acteurs201920182017
Travailleur ou travailleuse social(e) (fonction publique ou domaine associatif)55,4%46,2%59,9%
Personnel administratif y compris cadre chargé(e) de la protection de l’enfance (fonction publique ou domaine associatif)15,4%19,4%21,4%
Assistant(e) familial(e) ou maternel(le)13,4%12,1%2,4%
Médecin, personnel médical ou paramédical, psychologues et thérapeutes6,8%7,8%8,8%
Autre2,5%4,8%0,9%
Personnellement concerné(e) par la protection de l’enfance1,7%4,4%3,4%
Magistrat(e) ou avocat(e)0,3%1,7%0,7%
Personnel enseignant, d’animation culturelle, sportive et de loisirs1,6%1,2%1,2%
Bénévole0,8%0,9%1,0%
Chercheur, journaliste, consultant et formateur1,1%0,9%0,7%
Non renseigné0,9%0,5%0,2%
Elu(e) local(e) ou national(e)0,2%0,2%0,1%
Total100,0%100,0%100,0%

Analyse et synthèse des résultats réalisées par Marie-Agnès Féret, chargée d’études Protection de l’Enfance à l’Odas, assistée de Nahoko Kato.